Les femmes noires et afro-descendantes francophones au Canada, que dire?


Regroupement

 

Lorsque le Réseau-femmes du sud ouest (RFSOO), organisme qui oeuvre dans la région du sud-ouest pour améliorer les conditions des femmes francophones de cette région, m’a approchée pour écrire un article pour leur blogue sur les femmes noires francophones, dans le cadre du mois de l’histoire des Noirs, plusieurs idées se sont bousculées dans ma tête. Je me suis demandé si j’allais parler des enjeux que rencontrent ces femmes, sur le plan personnel, social, économique ou professionnel. 

Femmes noires et enjeux sociaux et sociétaux…

Je me suis demandé si j’allais parler de l’immigration des femmes noires au Canada, qui date des années 1600 en Nouvelle Écosse contrairement aux croyances populaires. Je me suis également demandé si j’allais  parler du nombre des femmes noires au Canada, qui, selon les données de Statistique Canada de 2016, représente plus que la moitié de toute la population noire au Canada. (Celle -ci représentait en 2016, 1,2 millions  de personnes).  Et notons que plus de 4 personnes noires sur 10, sont nées au Canada. 

Je me suis aussi demandé si j’allais parler de la persistance des écarts salariaux entre les femmes noires et les femmes blanches à compétence égale, sans mentionner les gros écarts entre l’homme blanc et la femme noire. Je me suis aussi demandé si j’allais parler des emplois qui sont largement occupés par les femmes noires, les emplois précaires, les emplois mal rémunérés, malgré leurs qualifications et leurs diplômes. Je me suis aussi demandé si j’allais aborder les discriminations que subissent les femmes noires, selon la même étude de Statistique Canada, en 2016,  une femme noire avait presque deux fois plus de risque que les autres – 19,6 % au lieu de 10,9 % – d’être victime d’un traitement injuste ou de discrimination au travail. 

Femmes noires et violence…

Je me  suis également demandé si j’allais parler de la théorie féministe intersectorielle, développée par la féministe afro-américaine Kimberlé Crenshaw en 1991, pour démontrer les facteurs qui contribuent à l’oppression des femmes noires, les facteurs comme la race, le genre, le statut social, l’appartenance culturelle, etc. Cette théorie a été utile pour analyser le phénomène de la violence conjugale que subissent les femmes noires et les différentes interventions dont elles font l’objet. Non seulement les femmes noires sont victimes du système patriarcal, mais elles doivent aussi naviguer avec des enjeux propres aux femmes noires. Ce qui peut compliquer l’intervention face à la violence conjugale.

Je me suis également demandé si j’allais parler de différentes micro-agressions que subissent des femmes noires dès leur jeune âge au quotidien, cela me rappelle d’ailleurs, l’expérience scolaire de ma fille, qui avait fait des nouvelles jolies tresses et qu’en rentrant de l’école, elle me raconta comment les autres enfants se sont donné le droit de toucher ses cheveux sans lui demander sa permission, elle en était choquée.

Alors qu’une bonne partie de la population noire au Canada est née au Canada, soit 4 personnes sur 10 (Statistique Canada, 2016), on continue de demander à nos enfants leur origine, pour signifier qu’ils ne sont pas originaires d’ici, je me demande quel message cela transmet à ces enfants-là, qui n’ont connu que le Canada, leur pays natal! Cela me rappelle aussi le peu de représentation de la diversité dans la littérature et les films populaires. Nombreuses sont des petites filles noires, ou des petits garçons noirs, qui se rabaissent dès un jeune âge car ils ne sont pas assez représentés dans les critères populaires de la beauté, de l’intelligence, de la bravoure, etc, 

L’enjeu-clé : un danger pour la sécurité, la santé et le bien-être des femmes noires.

Finalement je me suis rendu compte que tous ces sujets tournent autour d’un sujet commun, difficilement abordé, qui gêne beaucoup de monde,qui demande beaucoup de courage : le racisme systémique. Amnistie internationale (2022) définit la notion du  racisme systémique comme l’ensemble de la structure sociétale, composée par des institutions, des lois, des politiques qui maintiennent un système d’inégalités, qui oppriment ou privilégient certains groupes selon la race qui leur est attribuée. Ces inégalités donnent des privilèges aux personnes blanches et portent atteinte aux droits des personnes noires, racisées et autochtones. 

Actuellement, alors que le monde est touché par la pandémie liée à la COVID-19, bien que cette pandémie ait eu des répercussions sur l’ensemble de la population, des données publiées au Canada laissent penser que les afro-canadiens seraient également touchés de manière disproportionnée que le reste de la population, par cette pandémie. On observe les mêmes tendances aux États-Unis, en Angleterre et dans d’autres pays de l’occident. Cette disproportionnalité est causée par plusieurs raisons dont notamment des disparités en matière de santé, la pauvreté, les conditions de vie et les emplois occupés par la population noire. (Upton, 2020)

Un autre exemple qui touche particulièrement les femmes est celui de la mortalité maternelle. En effet, selon un article publié par Radio-Canada ( 2021)  environ 700 femmes noires meurent en accouchant aux États-Unis. Donc, les femmes noires sont trois fois plus à risque que les femmes blanches de mourir en accouchant. Ces statistiques me rappellent mon propre vécu, une expérience traumatisante au sein du système de santé. En effet, alors que j’étais enceinte de mon premier enfant, dans les derniers mois de la grossesse, j’ai commencé à me sentir malade. Je me suis présentée à l’hôpital à plusieurs reprises pour en parler au médecin.  Mais chaque fois, je ne me sentais pas écoutée et j’étais renvoyée à la maison sans traitement. 

Dans l’article de Radio-Canada, ils renvoient ce phénomène au manque d’écoute, de négligence  et de minimisation des symptômes lorsque les femmes noires enceintes se présentent à l’hôpital. Pour ma part, cette négligence a failli me coûter la vie et a laissé des séquelles importantes sur ma santé physique. Des séquelles qui auraient pu être évitées si j’avais été écoutée et traitée à temps. 

Donc ceci pour dire que ce phénomène n’est pas propre aux États-Unis, il existe bel et bien au Canada. Cette réalité est aussi vraie pour les femmes autochtones, nous nous souvenons tous de la femme autochtone qui est morte l’année dernière, à l’hôpital à Montréal.

Nous ne pouvons pas parler de la santé sans aborder la question de la santé mentale. Selon Santé publique Ottawa (2020), les facteurs de risque et de protection jouent un rôle important dans le développement et le maintien des problèmes de santé mentale. Les facteurs de risque étant entre autres, le racisme, les inégalités sociales, les emplois précaires, les micro agressions quotidiennes, les traumatismes, etc. Tandis que les facteurs de protection sont par exemple, un emploi sûr et sécuritaire, le sentiment d’appartenance, le sentiment d’être représenté dans la communauté, un accès aux soins sensibles aux réalités culturelles, autosoins, logement sûr, etc, tout cela a un impact sur la santé mentale des personnes noires.  Bien que les femmes noires soient reconnues pour leur résilience et leur force, les enjeux que celles-ci vivent au quotidien, les prédisposent aux problématiques de santé mentale et physique. 

Conclusion

En conclusion, la situation des femmes noires francophones au Canada constitue un enjeu important des droits de la personne. Ces femmes continuent de subir des discriminations fondées sur leur appartenance raciale et linguistique. Cela se voit dans les secteurs sociaux et sociétaux. Ces femmes, bien qu’elles soient parmi les plus éduquées du pays, elles continuent d’occuper des emplois précaires, continuent de vivre dans des situations difficiles et vivent le racisme au quotidien. Ce problème a des répercussions sur leurs situations sociales, leur santé physique et leur santé mentale. Le moment d’écouter et d’agir c’est maintenant, afin de rendre compte de ces inégalités ainsi que les actions concrètes qui doivent être prises pour que ces femmes puissent mener des vies épanouies au sein de la société canadienne. 

 

Elise Nyirasuku